Extraits d’une conférence du père Alphonse Gilbert (Cssp) à l’occasion du 20ème anniversaire de la béatification du père Brottier
Premiers appels
L’évènement marquant de l’enfance du père Brottier fut sa première communion le 11 avril 1887. Il avait 11 ans et ce fut une rencontre éblouissante avec Jésus ! dans le silence intérieur, il s’entendit confirmer l’appel intérieur au sacerdoce qu’il présentait depuis l’âge de 5 ans. Le ciel – dira t’il – est un jour de première communion qui ne finit pas.
A la suite de son oui définitif, il entendit la Vierge Marie lui dire : « je te promet de te protéger toujours » ; point de départ d’une tendresse réciproque et ininterrompue. Quelques mois plus tard, il rentrait au petit séminaire.
L’année suivante, à l’occasion d’une conférence sur les Missions lointaines, surgit en lui un ardent désir – manifestement inspiré par Dieu – de devenir missionnaire. Il en gardera précieusement le secret durant toute son adolescence, comme un domaine d’exclusive confidence avec Celui auquel il a déjà donné sa vie pour toujours !. Une adolescence que n’épargnent pas les tempêtes intérieures et même les épreuves physiques : de pénibles maux de tête, quasi-continus, consécutifs à une typhoïde mal soignée, qu’il contracte à treize ans. Tout ceci le raffermit dans son idéal : à seize ans, il entre au grand séminaire !
Offrande de vie
Six ans d’études … Daniel réussit aisément, tant en philosophie qu’en théologie, mais de lancinantes céphalées lui interdisent tout effort prolongé : impossible de travailler le soir, impossible de fréquenter les savants auteurs recommandés par ses maîtres, impossible de songer à des études supérieures universitaires!
La Providence divine oriente ainsi sa vie vers un avenir qu’elle seule connaît. Il s’abandonne dans la foi. Son visage se congestionne parfois sous l’effet de la souffrance. Elle le rend émotif, impulsif, fougueux, voire impatient : lutte constante pour devenir, à l’instar du Christ, « doux et humble de cœur » ! Il devra terminer ses dernières années comme externe. On l’ordonne prêtre avant les autres dans la chapelle du Séminaire, à Blois, le 22 octobre 1899, à 23 ans. C’est le benjamin du Cours !
Il est envoyé aussitôt par son évêque au collège de Pont-Levoy, où il avait servi durant l’année précédant l’ordination. « Vous êtes un éducateur-né », lui avait dit l’évêque. Et, de fait, Daniel n’a rien perdu de son entrain, de son humour, de son enthousiasme. Il fascine et entraîne la jeunesse, avec un extraordinaire ascendant. L’action l’épanouit pleinement !
Mais l’appel à la vie missionnaire le taraude. Sur le conseil de son directeur spirituel, il postule son entrée dans la Congrégation du Saint-Esprit le 15 septembre 1901. . Les obstacles ne manqueront pas, depuis son évêque qui le voit partir à regret jusqu’à sa famille qui n’accepte que très difficilement cette décision ; mais « quand Dieu appelle, il faut marcher coûte que coûte » (Lettre de Daniel Brottier à son frère, 13 Juillet 1902).
Le père Brottier qui parlera d’une période « d’agonie lente », de « martyr de cœur » reprendra courage dans la prière et en septembre 1902 il rejoint le noviciat des Spiritains dans un vibrant « Dieu soit loué ! ».
Docilité à l’Esprit Saint
Daniel est le seul prêtre du groupe des vingt trois novices spiritains de la cuvée 1902-1903. Il a déjà une expérience profonde de la vie intérieure, mais on peut voir aisément dans sa correspondance qu’elle est davantage pour lui une réalité à conquérir qu’une réalité à accueillir. Une crise de conscience s’ensuivit, dès le début du Noviciat, en même temps que tombait sur lui la nuit du sentiment religieux. La lumière revint, dans une attitude de pauvreté spirituelle, qui fait confiance à Dieu et attend tout de lui, comme et avec la Vierge Marie.
L’expérience même de sa faiblesse, unie à celle de la divine miséricorde, ouvriront son coeur à l’Esprit-Saint qui prendra intérieurement le gouvernail de sa barque. Il franchit ainsi le seuil de la docilité à l’Esprit-Saint. Etonnante métamorphose ! En octobre 1903, il reçoit sa première obédience : Saint Louis du Sénégal. Quelques semaines plus tôt, il avait écrit à son supérieur dans sa lettre de premier engagement : « Si vous avez un poste périlleux où il faille risquer quelqu’un, je vous le dis bien simplement : me voici » !
Ce « me voici ! » est la parole-clé qui fait pressentir l’attitude fondamentale du jeune religieux missionnaire. C’est celui d’Abraham, celui de Moïse, celui d’lsaïe dans sa vision théophanique : « me voici, envoie-moi ! », c’est une réponse d’amour à un appel d’amour, une offrande d’obéissance comme celle du Christ entrant en ce monde, un don absolu et joyeux pour « aimer jusqu’au bout», comme Lui ! Jeune homme de foi et de fidélité, il se livre sans retour
Zèle et contradictions
A défaut de pouvoir risquer sa vie, le quotidien de la paroisse de Saint Louis, confiée aux Spiritains, n’est pas de tout repos : la loi Combes impose la laïcisation des écoles catholiques et l’expulsion des religieux enseignants. Le jeune père Brottier est l’homme providentiel pour sauver la jeunesse !
Sous la tutelle de son curé, le père Jalabert, il s’attelle à la formation spirituelle des jeunes : cercle catholique, chorale, fanfare, patronage, bibliothèque que fréquentent aussi les jeunes musulmans. Pour les adultes, il organise avec grand succès des conférences sur la religion.
En 1906 il est rapatrié une première fois pour raison de santé ;
A son retour six mois plus tard, il doit affronter l’incompréhension de son évêque et une campagne de calomnie qui l’affecte grandement. Dans la prière, il devient conscient d’une autre réalité de la vie chrétienne : « Heureux êtes-vous si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous ». Il va vivre désormais une nouvelle dimension de la vie apostolique : Rédempteur avec le Christ ! L’immolation « goutte à goutte » ! Aucune récrimination dans ses écrits : il possède son âme dans la paix de Dieu, disent ses amis ! « Les croix sont de l’or», avait écrit le Père Libermann, « mais les humiliations sont des perles et des pierres précieuses».
Sa santé se détériore à nouveau et en 1911, les médecins sont formels, un rapatriement en France est impératif. Monseigneur Jalabert, devenu Evêque du Sénégal lui confie alors le soin de lever des fonds pour construire une cathédrale à Dakar.
Serviteur
Le 3 août 1914, l’Allemagne déclare la guerre à la France. A 38 ans, le Père Brottier n’est pas mobilisable. Mais peut-il rester indifférent au malheur de son pays ? Il fonde le corps des aumôniers volontaires et, dans l’obéissance à son Supérieur Général, en devient le premier représentant… un aumônier légendaire, toujours en première ligne durant les quatre ans de guerre, au service des blessés, des mourants, des soldats et officiers qui le vénèrent .. au service aussi, par la correspondance, des veuves de guerre ou des mamans qui ont perdu leur fils. Un saint dans les tranchées ! L’incarnation du Christ Serviteur, compatissant et miséricordieux … Et pourtant, dit-il, il a la « frousse » comme les autres : le froid et le manque de sommeil l’accablent. Beaucoup tombent autour de lui. Il encourage, soutient le moral des poilus. Et lui n’est jamais blessé ; il est manifestement l’objet d’une protection spéciale du Ciel … pour une mission que Dieu seul connaît.
C’est de Monseigneur Jalabert qu’il apprendra, en 1919, sur une image de Thérèse, à l’intérieur de laquelle l’évêque avait placé la photo de Daniel, que c’est bien elle sa céleste protectrice. A la lecture de « !’Histoire d’une âme », il réalise soudain que ce qu’elle a vécu dans la contemplation, il l’a vécu dans l’action : ils sont deux âmes-soeurs ! la « petite voie d’enfance spirituelle de Thérèse » le confirmé dans la voie de sainteté qui était déjà la sienne, ce qui n’est pas peu dire !
Ils chemineront désormais la main dans la main ! « En confiance » ! Et dans l’amour : l’amour de Dieu et l’amour des hommes conjugués…
Ultime purification
Au retour de l’héroïque aventure de la guerre, Daniel Brottier ressent péniblement l’étroitesse de ses nouveaux horizons. Avec la guerre, ses maux de tête se sont accentués. Il se sent inutile et stérile !
Et voilà que, durant la terrible nuit de tempête du 12 janvier 1920, Monseigneur Jalabert fait naufrage sur le bateau qui l’amène au Sénégal, avec une vingtaine de missionnaires, hommes et femmes ! «Courage et confiance », lui avait dit l’évêque avant d’embarquer, immense douleur … le Père Brottier vit alors au fond de lui-même cette nuit d’abandon apparent de Dieu qu’a connue Thérèse, comme « un mur qui s’élève jusqu’aux cieux» … La fameuse nuit de l’esprit des contemplatifs qui, pour les hommes et femmes d’action, se vit au creuset de l’apostolat, souvent connexe avec les épreuves apostoliques, et qui débouche sur l’union permanente avec Dieu !
Or, c’est à ce moment précis que Daniel est sollicité pour devenir le directeur de l’œuvre d’Auteuil ! On peut dire que, durant ces trois ans de purification intérieure définitive, de 1920 à 1923, Dieu a préparé immédiatement le cœur d’un saint pour venir manifester son infinie tendresse à ses enfants privilégiés, ceux que le malheur a marqués, ceux qui ne sont pas aimés, « ceux dont personne ne veut ». Et Thérèse aura été, par sa propre purification dernière, (qui dura deux ans environ) son modèle et son soutien.
L’instrument de Dieu
Le Père Brottier entre à Auteuil le 21 novembre 1923. « J’ai dit ma Messe ce matin (à la rue Lhomond) pour les Orphelins d’Auteuil », dit-il, dans le taxi qui l’amène, à son proche collaborateur, le Père Pichon, « je me suis offert à Dieu pour les servir jusqu’à ma mort».
Et Thérèse entre avec lui, Tous deux, unis dans la même appartenance amoureuse à Dieu, et par des liens fraternels secrets, vont devenir complices dans cette nouvelle aventure que lui confie l’obéissance. Plus qu’une complicité, une alliance ! Manifestement voulue du ciel. .. Il commencera par lui construire une belle chapelle !
Daniel vit désormais en union permanente à Dieu, une union qui s’accroît et s’approfondit sans cesse, tandis qu’il lui prête ses bras, son cœur pour aimer et servir les jeunes qu’il lui confie.
D’où cette pédagogie privilégiée, à base de relations personnelles d’amour, d’estime, de confiance ; d’où cet accueil quotidien des personnes en souffrance qui viennent vers lui, et des bienfaiteurs qui le soutiennent ; et son exquise amitié avec ses proches collaborateurs.
On l’appelle à juste titre « le bon Père Brottier » car il rayonne la bonté de Dieu. Les saints sont des modèles d’humanité. L’amour des hommes qu’il puise dans le coeur de Dieu, par une constante habitude de prière et de maîtrise de soi, Daniel Brottier l’exprime dans ses relations multiples. C’est ainsi qu’il a pu constituer cette chaîne d’amitié avec de nombreux bienfaiteurs, ininterrompue jusqu’à nos jours.
Il meurt le 28 février 1936. Il n’avait pas encore 60 ans !
La sainteté du Père Brottier se manifesta enfin près de ses intimes par ses dons de discernement, de prophétie, et quelques miracles de guérison.
L’archevêque de Paris, le cardinal Verdier, venait souvent le consulter le matin pour des problèmes à résoudre d’urgence : « Quand je lui parle», disait-il, « il me semble voir un halo lumineux autour de sa tête ». C’est lui qui, dans son discours funèbre, prononça le premier le mot de « saint ». Pendant la nuit, ses plus proches collaborateurs avaient déjà découpé des reliques ! Le jugement du peuple de Dieu l’avait béatifié avant l’heure !
La béatification romaine eut lieu le 25 novembre 1984, par le pape Jean-Paul Il.